« Oh Sinéad (…) Life is gonna turn around »

• 09:21pm__ Une fine pluie s'abat sur la ville, faisant briller l'asphalte qui reflète ainsi les différentes lumières de la ville. Le halo des lampadaires, le clignotement provenant des différentes vitrines de magasins et leurs néons plus ou moins attirants. Est-ce le moment où je dois murmurer les vers de ce grand poète du XIXe siècle : « Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville. Quelle est cette langueur qui pénètre mon coeur ? » Mais pour m'en défaire, je dirais que je n'ai pas le temps pour ça.
  Le regard bas, rivé sur ce macadam humide, la tête un rien rentrée entre les épaules à cause de la fraîcheur de l'air, je marche les mains dans les poches de mon treillis noir. Je suis toute de sombre vêtue, excepté ce gilet anthracite que l'on devine par la capuche qui dépasse de ma veste de cuir, noire, elle aussi. On attendait de moi, les robes de soirées, les talons hauts, le maquillage et les cheveux soignés. Mais je n'étais jamais là où l'on m'attendait. Alors pour ce soir, tout ça resterait bien caché. Peau caméléon, pour un chevalier d'Eon. Depuis la veille, j'avais le sang d'un nouvel homme sur les mains. Et certains voulaient faire couler le mien en retour. Je n'avais donc pas le droit à l'erreur, et c'était un réel risque, que de venir à l'encontre de la personne à qui j'avais donné rendez-vous.
  
  Je ne pouvais, ni ne voulais cependant m'y dérober. Car cela avait quelque chose d'important, pour moi. Je ne savais pas réellement pourquoi. Peut-être parce que il y avait une chance pour que, indirectement, je bouleverse sa vie. Cette femme .. Je ne connaissais d'elle que le nom. Et son mari. Ce qui m'avait finalement conduit jusqu'ici, et jusqu'à elle. A vrai dire, je n'avais aucune idée de la façon dont elle allait appréhender ce que je lui avouerais .. Elle serait heureuse, je suppose. M'enfin, ce n'était pas mon rôle, de supposer, d'envisager. Je n'étais ici, que pour recréer le lien. Renouer le fil autrefois conducteur de sa vie. Et moi, moi, je ne pouvais m'empêcher de penser à l'après. Imaginer un sourire sur un visage que je ne connaissais pas. Imaginer.. Le reste. Inutile de trop en dire. Ca a toujours était inutile, d'user de trop de paroles.
  Me voilà bien vite sur le seuil du bar en question. A peine avais-je pousser la porte, que me faisais observatrice. En tant que code de reconnaissance, j'avais demandé à la personne de porter une écharpe rouge et que je me chargerais du reste. Mais il n'y avait pas la moindre note de rouge, dans l'habillement de qui que ce soit. Mais .. Après tout, quelle était la probabilité pour qu'elle vienne effectivement ? Mon message avait été aussi franc qu'énigmatique. « Certaines de vos questions restent peut être dénuées de réponses.. Et si quelqu'un était en mesure de vous les donner ? 09:30pm. Irish café. Portez une écharpe rouge. Je viendrais à vous. »
  
  Après m'être accoudée au bar et avoir laissé échapper un discret soupire, je commandais un café, bien serré. Un regard à ma montre. Il était l'heure .. Je n'avais plus qu'à attendre et constater si cette femme viendrait au rendez-vous de sa destinée.

« tic-tac, tic-tac, tic-tac... » Vingt et une heure onze. J'étais là. Immobile face à la trotteuse qui, me chantait son éternelle litanie. Les yeux brillants de larmes. Le cœur battant à tout rompre. La gravité du souvenir de sa voix m'apparaissait pressante encore. Et pourtant, je ne bougeais toujours pas d'un cil. Emmurée dans une léthargie que je ne parvenais à surmonter. A supposer, que je désirais m'en séparer...

« Certaines de vos questions restent peut être dénuées de réponses.. Et si quelqu'un était en mesure de vous les donner ? Vingt et une heure trente. Irish café. Portez une écharpe rouge. Je viendrais à vous. » Quelques heures plus tôt. La sonnerie du téléphone. L'éternel « Allô ? ». Puis la confusion. Le doute. Et enfin les questions en pagailles. Qui était-ce ? Que voulait-elle ? Je l'ignorais...

Mais avant tout, qu'attendais-je de cet appel ?...

Les mains tremblantes, je tentais d'enfiler mon manteau. Puis, le reposais aussitôt. Non, la situation actuelle était bien trop incertaine et dangereuse. N'importe qui avait pu obtenir mon numéro. Qui pouvait savoir sur quel individu j'allais tomber ? Alors, le souvenir de ces dernières années me revinrent en mémoire. Les longues heures enfermées dictées au rythme de l’électrocardiogramme. Les gouttes languissantes de la perfusion. Comme autant de « ploc… ploc… » dans mon crâne endoloris. Alors, je me perdais à nouveau à travers des allées et venues. Redevenant la captive. Lionne en cage…

J’enfonçais mes ongles dans le bracelet métallique emprisonnant mon poignet. Et si… Et si c’était eux ?... S’ils… voulaient me reprendre ? Comme la mort reprend à la vie brutalement. Si… Éprise d’une angoisse bientôt insupportable, j’acharnais mes doigts autour de cette puce électronique jusqu’à la douleur. Jusqu’au sang… Puis, balayais de mes prunelles suspicieuses les alentours. Je le sais… Je le sais, que vous êtes là ! Toujours. Sans cesse. A m’épier. Moi, l’animal. Bête de foire. Bête de… laboratoire…

Et pourtant, je me surpris. Écharpe rouge autour du cou. A pénétrer à l’intérieur de ce bar où, l’atmosphère me parut plus qu’ironique. Comment pouvait-on encore s’amuser pendant que le monde s’écroulait lentement ?... Bien que la question ne trouva réponse, je m’empressais d’analyser chaque regard. Chaque visage. Tout semblait… normal. Même si ce terme n’avait plus vraiment de sens désormais. Cependant, et alors qu’un homme à la carrure imposante effleura mon épaule, afin de rejoindre le fond de la salle, je ne pus contenir un bruyant hoquet. La méfiance était un art qui me jouait beaucoup de tours…

M’accoudant à mon tour au comptoir, je murmurais ma commande en un profond soupire. Un chocolat chaud. Que faisais-je ici ? Qu’espérais-je concrètement ?... Un espoir, peut-être ?... Ou peut-être était-ce la foi ?... Seulement, en quoi pouvais-je encore avoir foi ?... Soudain ridicule, selon-moi, je retirais le foulard rouge, afin de l’entasser maladroitement à l’intérieur de mon sac à main. Quelle imbécile !... Que pouvais-je bien espérer d’une parfaite inconnue après tout ?...