Les nuits à New Eden peuvent être longues, surtout quand vous êtes seul. Enfin, dans son bungalow des Suburbs, il n’était pas tout à fait seul. Il loge avec quelques autres personnes, parce que vivre seul dans une résidence, même dans ce refuge qu’est cette ville, ça lui est inconcevable après tout ce qu’il a vécu. D’ailleurs, seul dans son lit, sa chambre, le sommeil ne le gagne pas facilement et une fois qu’il s’endort, comme cette nuit, c’est pour mieux revoir le visage de ceux qu’il aime, mangés par des zombies et qui en deviennent à leur tour. Alors, Alec se réveille, seul dans son lit et non pas entouré de monstres comme dans ces cauchemars. Il sue, il est haletant et il lui faut trois ou quatre secondes pour reprendre ces esprits comme il le faut, avant de se recoucher, de fixer le plafond les yeux ouverts et de jouer un peu avec sa chaîne, avant de se tourner sur le côté et de se rendormir. C’est donc vous dire qu’il avait le sommeil léger. De fait, cette nuit-là, il ne parvint jamais vraiment à se rendormir et plutôt découragé, il se leva. Il fit un peu de ménage dans sa chambre, s’habilla, enfilant un t-shirt, une paire de jeans, ces sneakers et enfin, son veston de cuir, pour mieux sortir dehors, prendre l’air. Marchant vers le lac Eden, il était pensif.

Alec est jeune, il a dix-sept ans, mais il est quelqu’un qui réfléchit, enfin, comme tous les êtres humains. Il constate encore une fois que la peur est son premier ennemi. C’est la peur qui l’empêche de dormir, cette même peur qui l’empêche de sourire et de profiter quand il en vient le temps. Une peur qui le tenaille et qu’il combat à chaque instant. D’ailleurs, c’est faute de moyens, en partie, pourquoi il a peur. Il n’a pas d’arme, sa survie a, jusqu’ici, toujours dépendu des autres. Pourtant, il n’est pas dénué de leadership ou d’instinct, au contraire. Garçon sportif, il était le quart arrière de son équipe de football américain et il n’est pas un idiot. S’il veut arrêter d’avoir peur, cela passe, en partie, par une prise de conscience, ce qui commence déjà depuis un moment chez lui, mais par l’acquisition aussi de moyens de ne plus avoir peur. Savoir se rendre utile, protéger les uns et les autres et non plus seulement être le protégé, contribuer en somme. Il est aussi à la recherche d’un rôle. Passer ces journées à tourner en rond sans trop savoir quoi faire, ce n’est pas pour lui.

D’ailleurs, dans sa quête de sérénité, il aperçoit quelqu’un au loin, ou plutôt, fort probablement, quelqu’une. Elle était assise non loin du lac, sur une sorte de banc qui offrait une belle vue, avec le soleil qui se levait par-delà le désert du Nevada. Il s’approche doucement et constate qu’il s’agit de Serena, une des gardes de la ville, une ancienne policière, d’après ce qu’on dit. En dehors de ces quelques détails, il sait peu de choses sur elle, mais il sait aussi que chaque fois qu’il a voulu se rendre utile, elle lui en a donné l’occasion. D’accord, nettoyer les toilettes de la caserne, nettoyer une arme, transporter une caisse de munition, aider à vider un camion, ce ne sont pas les choses les plus palpitantes du monde, mais si ce sont ces bras qui doivent servir, quand même assez costaud avouez, alors autant qu’ils servent! Il ne demande pas mieux. En revanche, il ignorait que Serena était une amatrice de beaux paysages et de lever de soleil, ce qui le fit sourire un brin. C’était aussi une très jolie femme, mais ça, on passera sur ce détail.

À force de s’approcher, Serena, qui a les sens aguerris, on s’en doute, se retourne vers lui, l’air prête à dégainer et il lève les mains en l’air, semblant vouloir détendre l’atmosphère un brin, si possible.

-Salut Serena… Je comptais te dire bonjour en venant m’asseoir à côté de toi, mais tu m’as comme qui dirait pris au dépourvu.

Alec n’avait rien d’un zombie, d’ailleurs, les zombies ne sourient jamais, à sa connaissance. Il faut dire qu’il n’a pas développé beaucoup de relations amicales avec eux. De son menton, il pointe le soleil qui se lève et en profite pour se rapprocher, maintenant que la tension était tombée.

-Tu regardais le lever du soleil?

Oui, non, peut-être, c’est une manière comme une autre de démarrer une conversation. Comme il l’avait prévu, il finit par venir s’asseoir à côté d’elle et fixe son regard sur l’horizon, le soleil, l’air un peu pensif, avant tout, il profitait de ce moment unique dans une journée et ne voulait pas déranger un moment parfait avec une remarque cinglante ou inutile. Serena devait quand même se douter que d’ici peu, il viendrait encore lui demander si elle n’aurait pas un truc à lui faire faire aujourd’hui et que comme d’habitude, il ferait ce qu’elle lui demande sans même rechigner.

Quand Serena se tourna un peu vers lui, il vit qu'elle avait écarté un pan de sa veste. De nature observatrice, il savait qu'il devait s'y cacher un arme, mais bien vite, elle laissa tomba sa veste et il n'eut plus de raisons de se soucier de la moindre réaction de la garde de la ville. Que pense-t-il de son côté de cette garde? Hey bien, d'abord, il doit avouer qu'il ne la connait pas beaucoup et elle fait sans doute parti de ces personnes difficile à sonder. Autrement dit, elle n'est pas un livre ouvert. En même temps, il serait étonnant qu'elle se confie à un gamin comme lui. C'est le surnom que lui donne Chris, un autre garde: "le gamin", le petit gars ou le blondinet, tous des surnoms qui ne le dérange pas trop. Alors, ce qu'il pense de Serena... Derrière ces airs durs, il devine une chic fille, qui se soucie des gens. Il sent aussi qu'elle est dure par moment envers lui, mais qu'elle semble l'estimer, d'une certaine façon, il l'espère du moins. Une fille sérieuse, mais qui sourit quand même. Elle a l'air mélancolique aussi, comme si le passé était aussi lourd sur ces épaules que l'avenir. Il faut le dire que chacun a sa façon de réagir vis-à-vis la mort et de vivre avec tout ce qu'ils ont vécu. Alec lui-même n'oserait pas se lancer dans un concours, mais même avant cette catastrophe, il n'a pas eu une vie facile, ce qui explique une certaine maturité de sa part. Il n'a jamais connu son père, mort dans un accident de voiture pendant que sa mère était enceinte. Ainsi, il a grandi en se demandant un peu comment était son père, un fantôme qu'il admire quand même beaucoup. Tout jeune, il a appris que sa seul sœur était atteinte de leucémie et il a vu sa mère sombrer dans la dépression. Lui-même est presque toujours resté positif dans tout cela, l'esprit plus battant, il est incapable de se résigner, ce qui explique sa détermination une fois qu'il a une idée en tête. Une qualité qu'il croit partager avec Serena.

Serena était donc effectivement une amatrice de beaux paysages, ce qui le fit sourire un brin, avant qu'il ne vienne s'asseoir à côté d'elle pour profiter du spectacle à son tour. Il aperçu du coin de l'oeil le carnet qu'elle rangeait dans son sac, y jetant un regard discret, il reporta ensuite son attention sur l'horizon. Observateur, il était curieux aussi. Sentant la nostalgie dans la voix de Serena, il essaya de faire une sorte d'encouragement:

-Voilà une chose que le virus ne pourra jamais nous voler.

Il regardait l'horizon, quand elle lui demande ce qu'il est venu faire ici. Ah ça. Un peu hésitant, il se caressa le derrière de sa nuque avec sa main et observa un moment Serena dans les yeux, avant de reporter son attention sur l'horizon et le soleil qui se reflétait dans le lac. Franchement, c'était très beau.

-Oh bah... J'ai passé la nuit à essayer de dormir sans vraiment y parvenir. Tant qu'à être debout, je me suis dit que je pouvais venir ici, voir le lever du soleil. Ça vaut le coup.

Même s'il fait un peu frais, parce que même si ça se réchauffe vite une fois le soleil levé, la nuit, dans le désert, il fait froid. Il regarde le soleil encore un moment. Alec n'est pas de ces personnes qui ont toujours besoin de parler, il sait aussi apprécié le silence, mais aussi, la simple présence de quelqu'un. Il jette un petit coup d’œil au visage de Serena un moment. Les reflets des rayons de soleil se reflétait sur sa peau. C'était beau et elle était belle. Il se racle la gorge et demande:

-Au fait, j'ai remarqué que quand je suis arrivé, tu rangeais un carnet. C'est quoi au juste? Un journal de bord?

Il aurait de la difficulté à croire que Serena Mitchell tient une sorte de journal intime, ce serait assez surprenant!