Elle avait le bout de ses doigts qui reposait sur ses lèvres, comme pour taire un flot d’angoisse. Et elle resta sur place, sans un seul mot. Puis elle en vint à appuyer son front sur la surface devant elle, et eut un soupir, du plus profond de l’âme, qui embruma le miroir qui ce trouvait là. Après un moment, elle rouvrit les yeux, ses magnifiques yeux bruns, et, reculant la tête, les fixa sur la psyché. C’était léger, presque rien maintenant, mais cela l’avait frappé la première fois, tout comme cette fois-ci. Non, ce n’était pas toujours flagrant, mais il n’y avait rien de normal à avoir en permanence l’iris en forme d’amande, bien qu’à différent degré… puis, plus petite encore, en fine fente à la manière d’un chat. Cassandre abaissa la main qu’elle avait inconsciemment posée sur sa joue, et se détourna du miroir. Au moins, personne ne s’en était rendu compte.

Lorsqu’elle sortit dehors, plus tard dans l’après-midi, le soleil se tenait bien haut, presque agressif. Cassandre portait une paire de jeans trouée, des basquets, une camisole rouge et un par-dessus noir. Et des lunettes de soleil. Elle semblait ne pas être à sa place, ne pas avoir encore trouvé ses repères dans cette ville.

On ne pouvait pas le voir à travers ses lunettes, mais ces sourcils froncés trahissaient son questionnement intérieur. Peut-être se demandait-elle s’il y avait autre chose de changer chez elle, ou pensait-elle aux derniers évènements, aux circonstances qui avait fait qu’elle se retrouve ici, aux morts-vivants, à… Ses pas la conduisirent au parc où, épuisée et lasse de n’avoir aucune réponse, elle s’appuya et serra de ses mains le dossier d'un des nombreux bancs présents. Et c’est lorsqu’elle se détacha du banc sans regarder derrière elle, qu’elle percuta un jeune homme – à moins que ce ne soit sa faute - qui passait par là. Cassandre en fut déséquilibré et manqua de tomber sur le sol. Elle en perdit néanmoins ses lunettes de soleil, qui, elles, s’écrasèrent au sol. Et lorsque ses yeux rencontrèrent celui de l’inconnu l’espace d’un instant, si près, elle plongea dans ses yeux bleus, et il put voir ses yeux brun à elle, les iris en forme d’amande, plus fin maintenant que plus tôt lorsqu’elle s’était regardée dans le miroir, ressemblant d’avantage à des yeux de félin, qu’à des yeux humains. Puis, une vague de peur traversa son regard, et elle se pencha précipitamment pour ramasser ses lunettes alors que l’inconnu reculait, semblant effrayé.

Ce dernier balbutia un : "Mais qu'est-ce que...?" Bonne question! Qu’était-elle censé répondre à ça, exactement ? Elle qui peinait à répondre à cette fameuse question. Et qu’était-elle censé faire ? Redressée, elle resta figé les lunettes à la main. Elle aurait pu répondre ; On a fait des tests sur moi, ne me regarde pas comme ça – mais l’effet n’aurait pas été super, voir pire. Peut-être aurait-elle pu inventer le truc des lentilles d'Halloween, mais pour quelle espèce de raison quelqu’un se mettrait des lentilles pareils une journée comme ça ? Pouvait-elle promouvoir une quelconque maladie congénitale ? Ou génétique tien : y’a des félins dans ma famille. Et s’il le racontait ? Bien sûr qu’il allait le raconter! Oh, bon sang, si ça devait venir aux oreilles des dirigeants, des soldats, de… Ses traits se crispèrent, se durcirent. Elle enfila ses lunettes. « Mais rien » Ce qui était un début de bonne réponse. « J’ai un problème de yeux. » Et, dans sa posture et son ton, elle semblait le défier de dire le contraire.

De quoi avait-elle l’air, vraiment ? D’un espèce de monstre de laboratoire ? Pouvait-on si facilement en arriver à faire un lien quelconque entre elle et les créatures dehors ? Elle ne leur ressemblait en rien… mais elle n’était pas non plus normale. C’était ça, non, ce qui était inscrit dans les traits de l’inconnu : une foule de question, une montagne d’incompréhension, et de la peur suintant de ces pores. « Un problème? … Médical? » Et Cassandre répondit sans hésiter, avec une pointe d’irritation dans sa voix : « Bien sûr, médical ! » L’irritation n’était pas réellement destinée à l’inconnu, mais davantage à cette situation qui lui échappait et, en un sens, la terrifiait. Et puis, elle se rappela à la dernière seconde qu’elle ne mentait pas, ce qu’elle avait subit pouvait effectivement être considéré comme médical, peu importe l’illégalité de la chose. Disons, une autre sorte de médecine alors. « C’est le virus qui t’a fait ça? » Heureusement qu’à ce moment elle portait ses lunettes, qui cachait une partie de son visage, car il aurait pu la voir blêmir – mais peut-être le remarqua t-il quand même. Une question presque innocente. Cassandre ne put s’empêcher de regarder brièvement autour d’elle, comme si elle craignait qu’on l’ai entendu. Elle reposa son regard sur le jeune homme de son âge. Dieu merci, il n’y avait pas grand monde dans le parc. Avait-on vraiment idée d’invoquer ainsi le virus ? Tout le monde avait peur de ce fichu virus et de ce qu’il avait laissé derrière lui : zombies assoiffés de chair et de sang.

Une idée se disputait en elle, pressante celle-là, de partir à courir. Mais alors elle devrait vivre avec le fait qu’il savait, et qu’il allait probablement cafter. Qui ne le ferait pas ? Dans un temps pareil, il faut être prêt à descendre même sa propre grand-mère si elle est infectée. Question de survie. Il s’écoula plusieurs secondes, avant que Cassandre ne prenne la parole. « Je t’ai dit que c’était un problème médical. » Puis, elle ajouta avec une dose d’ironie conséquente : « Mais c’est peut-être toi Monsieur le spécialiste de Las Vegas en matière de médecine et de virus ? »

Qui aime vraiment se faire poser des questions indiscrètes par de pur inconnu ? Personne. Et la santé des yeux de la belle Cassandre était un sujet des plus indiscrets. Promouvoir que leur drôle d’apparence provenait d’une maladie était une bonne idée. Mais le fait était qu’il lui fallait maintenant espérer que l’adolescent n’aurait pas la brillante idée de lui demander comment s’appelait la supposé maladie. Non, tout compte fait, elle devrait étoffer ce mensonge, si elle voulait le rendre un minimum crédible. Ou espérer pouvoir les cacher jusqu’à la fin de ses jours – ce qui dans un monde chaotique ne devrait pas prendre plus de 5 ans.

-Moi? Je... euh... mais... non, pas du tout! C'est juste que... Écoutes, oublies ça d'accord? T'as raison, je devrais me mêler de mes affaires.

« En effet, tu devrais. » Lui répondit-elle d’un ton mordant. Elle avait des tendances à être parfois plus agressives que nécessaire. Ça devait aller de pair avec les yeux. Elle n’était pas comme ça avant, mais il ne pouvait pas le savoir. Et puis, il s’excusa, ce qui calma la jeune femme, qui se sentit alors étrangement stupide d’avoir réagit de la sorte. Il avait été surpris. Oui, elle le comprenait. Elle-même avait été surprise, à la limite de l’horreur lorsqu’elle avait regardé de plus près ses yeux dans le miroir, un beau matin. Mais elle restait sur ses gardes, parce qu’elle ne pouvait pas faire comme s’il ne s’était rien passé, parce que lui non plus n’oublierais pas ses yeux. Et peut-être avait-il gober le mensonge… quelle chance avait-elle ? Une sur quatre, peut-être. Mais s’il le disait, mine de rien, sans vraiment y porter attention, à son colocataire pour lui relater les faits croustillants de sa journée : j’ai rencontré une fille avec des yeux digne de la science-fiction, on aurait dit qu'elle avait des pupilles de chat, drôle de maladie, pareil. Et si le colocataire cherchait à savoir de qui il s’agissait, et s’il le voyait et le répétait à son tour. Bon, hein, ses choses-là peuvent aller loin quand même ! Et puis, il y avait quand même le 3 – peut-être 6 chances contre 1 qu’il ne soit pas si idiot que ça, et qu’il le répète volontairement. On vit dans une époque de fou pareil, où il faut se méfier des comportements étranges de ses concitoyens.

Elle le retint, posant sa main sur son bras. Elle semblait incertaine, craintive « Ça peut… ça peut rester entre nous. …Je veux dire, c’est juste des yeux, c’est pas… » Elle arrêta de s’embourbé et conclut d’un ton plus ferme : « Ils n’ont pas à le savoir. »

Ce mettre à crier partout qu’on venait de croiser une fille étrange avec des yeux encore plus étrange était une chose. Mais dire que c’était à cause d’une exposition au virus maudit en était une autre. Et c’était en fait ce qu’elle craignait vraiment que l’on découvre. On ne se contenterait certainement pas de lui poser poliment quelques questions pour voir comment elle allait ; on ne prendrait probablement même pas la peine de le lui demander avant de lui mettre une balle en pleine tête ; n’était-ce pas ce qu’on faisait à ceux qui avait été exposé, contaminé ? Ça ne se plaçait pas non plus dans une conversation : bonjour, j’ai servi de cobaye. Contre son gré ou non n’y changerait rien. Elle préférait ne pas trop y penser. Même si elle n’avait que de vagues souvenirs de ces très nombreux derniers mois, elle en gardait une mauvaise impression.

-Qui ça, "ils"?

Ils tout le monde. La terre entière. À qui pouvait-elle faire confiance ? À qui pouvait-elle se confier ? Elle ne le pouvait pas. Et quand bien même, elle n’était pas sûre de le vouloir. Cassandre lâcha le bras de l’inconnu. Peut-être devrait-elle faire attention à ne pas paraître inquiète, ou d’avoir peur, mais une partie d’elle ne pouvait pas s’en empêcher. Tout était encore si confus dans sa tête. Elle essaya de répondre de manière détachée, sans y réussir totalement : « Tout le monde. » Ce n’était que des yeux, lui avait-elle dit, ce n’était pas comme si elle était enragée, prête à sauter sur tout ce qui bouge, à tout détruire. Ce n’était pas comme si c’était contagieux. C’était une maladie, en un sens oui. Mais ce n’était pas naturel. Et elle n’était pas elle-même spécialiste, mais elle pourrait jurer que rien de telle n’existait. Elle ouvrit la bouche pour rajouter quelque chose, mais la referma sans savoir quoi dire de plus.

Et elle sut que si elle voulait être sûr qu’il cache son secret, elle devait lui donner une bonne raison. Normal, ils ne se connaissaient même pas encore. Normal, elle se contredisait royalement : c’était juste une maladie, mais il ne devait sous aucun prétexte le mentionner à quelqu’un. Elle avait été idiote, sur ce coup, avec un mensonge idiot, mais plausible, idiote également d’être sortit aujourd’hui. Elle prit une respiration, et changea son fusil d’épaule : « Okay… on reprend. Je m’appelle Cassandre ». Elle lui tendit sa main. Une pensée, assez étrange celle-là car elle ne lui ressemblait vraiment pas, lui vint alors : elle pourrait s’en débarrasser, si ça tournait mal. Pour être sûr, pour être vraiment sûr, c’était le seul moyen. Non ? Dans les temps qui courait, qui se rendrait compte qu’il y avait une personne de plus ou de moins, qui s’en inquièterait vraiment.

Et puis, elle sembla le voir pour la première fois, comme si elle n’avait pas réellement fait attention à la personne qui se tenait devant elle avant. Il était plutôt mignon. Elle l’invita d’un mouvement implicite à marcher avec elle, car elle n’arrivait plus à rester sur place sans bouger, et que marcher lui éclaircirait les idées. Elle avait en réalité deux choix, excluant celui de tuer, celui de continuer à prôner une maladie extrêmement rare, ce qui pouvait marcher – ou aurais pu marcher sans sa réaction exagéré, n’étant pas dans la tête d’Alec, elle ne pourrait dire. Et celui de tout lui dire. Mais, franchement, il n’avait pas l’air si fiable que ça. « J’ai juste peur de leur réaction… Et je ne veux pas qu’ils me regardent comme si j’étais un zombie – dans un autre temps, un autre lieu, elle aurait probablement utilisé le mot extra-terrestre, mais c’était un peu passer mode depuis ! Et elle réussit à prendre un ton d’humour dans le reste de sa phrase : Tu sais, avec les yeux écarquiller et tout. …Je serais curieuse de savoir la première chose qui t’as passé par la tête en croisant mon regard. » Et elle fut tenter de lui dire, mais ne le fit pas : ils ne sont pas toujours comme ça, tu sais.

Elle crut apercevoir un regard empreint de découragement, ou de pitié pour elle, ce qui l’irrita un peu, car elle ne voulait surtout pas qu’on la prenne en pitié. La dernière chose qu’elle voulait, c’était qu’il manifeste de la compassion pour son état – état dont il ignorait tout. Il ne pouvait pas comprendre, ne devrait même pas essayer de s’imaginer ce qu’elle ressentait. Et voir ce sentiment se refléter dans ses yeux lui rappelait tout, qu’elle était faible, seule, différente… Et elle préférait l’oublier, le rejeter, le nier, passer à autre chose. Elle détourna un instant la tête. Il lui répondit : « Ça fait beaucoup de monde ça... » Oui. Beaucoup. Trop peut-être pour sa petite personne. Mais c’était encore gérable. Elle pouvait le gérer, elle l’avait géré jusqu’ici. Il lui faudrait un but, éventuellement, une épaule, possiblement. Elle haussa les épaules.

Il se présenta à son tour, avec une hésitation qu’elle ne savait pas si elle devait attribuer à ses yeux. Peut-être. Probable. Puis, elle glissa ses mains dans les poches de ces jeans, et ils se mirent à marcher dans le parc. Il posa deux questions d’approche, sûrement les deux premières questions que l’on posait toujours aux nouvelles personnes que l’on croisait à New Eden. Elle y répondit par : « Pas longtemps, quelques jours. On perd vite la notion du temps. …Je viens de Londres. » Une belle ville, mais qui devait avoir perdu de ces charmes depuis. Mieux valait ne pas trop y penser. Et elle lui renvoya la question.

Au moins, il comprenait pourquoi elle avait peur. Même s’il ne savait pas tout. Et il n’avait pas à tout savoir. Elle haussa un sourcil, tourna la tête vers Alec lorsqu’il lui fit part de ce qui lui avait traversé l’esprit. Presque la même chose qu’elle s’était dite. «[ …] ne s'attend pas à ça non plus! ». « Justement! Et j’aimerais essayé de vivre ici sans… ça. » Sans qu’on ait peur d’elle. Sans se soucier de la réaction des autres. C’était prouver que les gens effrayer pouvait avoir des réactions incontrôlées. Et les personnes vivants et New Eden devaient être assez stressé comme ça. Dans un film d’alien, on l’aurait étiqueté comme extra-terrestre, et ils n’aurait probablement pas eu tord. Elle demanda, un peu hésitante : « Donc tu n’as plus… peur ? »

-De Londres? Woah, toujours rêvé d'y aller. Et elle rêvait d’y retourner. Il était certainement trop tard maintenant. Tout comme tous les enfants qui voulaient aller à Disneyland un jour devait faire leur deuil. Elle avait apprit que l’infection était mondiale, que certainement peu de monde y avait réchappé. Mais qui sait… eux ils étaient bien là, alors il pouvait bien y avoir d’autre groupe de survivant ailleurs. Ce n’était pas à exclure en tout cas. Mais inutile d’y penser trop assidûment, il ne fallait pas se faire d’illusion, au risque d’être amèrement déçu. Il ne fallait pas trop se remémorer le passé, au risque de ne plus être capable d’avancer. « Et c'est loin. Je ne suis pas trop au courant de ce qui est arrivé outremer. […] » Elle lui avoua donc : « À vrai dire, je ne suis pas très au courant des nouvelles… »

Elle suivit vaguement la roche des yeux, s’en désintéressa, et écouta Alec lui dire d’où il venait. Elle trouva alors utile de préciser elle-même : « Oh, et bien, je suis né à Londres, mais j’étais à San Francisco en visite quand c’est arrivé… » Tu parles du meilleur temps de l'année pour visiter la famille. Ils auraient dû choisir un moment dans l'été. Elle tentait d’avoir l’air détaché, mais ces derniers souvenirs concrets remontaient à cette époque. Ce n’était pas si loin dans sa mémoire, après tout.

Ce n’était sûrement pas les accents qui manquaient ici, avec tout ce monde venant de tant de place différente. Elle-même avait un accent, léger toutefois et doux à l’oreille, d’Angleterre. Cassandre s’arrêta, lorsqu’elle remarqua Alec le faire, et se tourna vers lui, le regard toujours caché derrière ses lunettes fumées. Il la rassura en disant qu’il n’avait pas vraiment peur d’elle. C’était un bon point.

-Pas vraiment. Oh, ça surprend au début, mais on s'y fait et puis, à part de ce détail, tu es comme moi, non? Un fin sourire étira ses lèvres, et elle répondit : « À dernières nouvelles, oui. » « Alors je ne vois pas pourquoi je te traiterais différemment. Honnêtement, je ne suis pas certain que sur le long terme, cacher qui tu es est une bonne idée. » C’était un débat ouvert. Pour l’instant du moins, elle trouvait préférable d’adopter le look de la fille qui a en permanence des lunettes de soleil. Mais ça donnait à réflexion, l’inquiétait même un peu : elle ne pouvait pas éternellement se cacher derrière cette façade. Et bien, quand ce jour arrivera, elle avisera. « Pour l’instant ça ne peut pas me nuire. … Mais tu n’as peut-être pas tord. » Et elle eut un drôle de sourire en coin avant de relever les lunettes sur le dessus de sa tête. Peut-être voulait-elle voir sa réaction, pour voir s’il était bien sûr de ce qu’il avançait sur le fait de s’y habituer. Ses yeux aux étroites pupilles de félin en cet après-midi ensoleillé fixèrent quelques secondes Alec. Puis, avec une petite moue, Cassandre reprit la marche. Elle garda ses lunettes sur sa tête, se disant qu’elle pouvait bien profiter du calme de l’endroit. Elle pourrait toujours baisser la tête et les yeux, s’ils croisaient quelqu’un en chemin. Elle compléta : « Mais tu ne peux pas comprendre. » Bien sûr que non, il avait de jolis yeux bleus, il était parfait ( :p), il n’avait aucun souci - à part celui de tout le monde; les zombies. Elle tourna la tête vers lui et trouva même la force de lui sourire pour lui signifier que ce n'était pas grave. Enfin, pas grave tant qu'il gardait tout pour lui. « Tu joggais ? » demanda t-elle en changeant subitement de sujet.

Peut-être pouvait-elle lui faire confiance, finalement. C’était ce qu’elle commençait à ressentir, en tout cas. Elle commençait à être un peu trop à l’aise avec lui. Mais pouvait-elle en faire un pari ? Parier sur sa tête ? C’était un peu lourd, pareil. Mais il n’avait pas peur, il ne cilla même pas lorsqu’elle abaissa ses lunettes, comme si ses yeux étaient normaux, juste un truc à la limite exotique. Elle décida qu’il valait mieux ne plus y penser pour l’instant, car l’instant où elle devrait s’en préoccuper viendrait assez vite.

En soit, il avait raison : plusieurs raisons pouvaient faire qu’on se sentait différent des autres. Elle n’était certainement pas la seule à se sentir décaler, même si ses raisons étaient certainement bien différentes des raisons habituelles. Mais, peu importe les raisons, on peut dire que toutes se valent.

-Ouais, j'essaie de me garder en forme, de m'occuper aussi. Il y a des jours où je cherche un peu quoi faire. Elle eut un petit sourire, et ne put résister : « Ça fait deux semaines seulement, et déjà à trouver le temps long ? » Mais, dans une difficile période post-apocalyptique, il n’y avait sûrement rien de bien palpitant à faire, ni de très gai.

-Est-ce que tu as des amis ici? De la famille?

Une autre question commune, d’approche. Son visage s’assombrit légèrement. Inutile de mentir, inutile d’embellir la vérité. « Il n’y a que moi. » Et comme elle ne voulait pas s’étendre sur le sujet, qui de toute manière ne pourrait pas s’étendre davantage étant donné que tout avait été dit, elle lui retourna la question. « …Toi, bien entouré ? »

Sa vie à elle aussi avait tourné autour de l’école avant la fin du monde. La vie de tous les adolescents tournait autour de ça. Toute la journée en cours, le soir dans les devoirs ou les sorties. Mine de rien, le temps passait vite ainsi. Alors qu’il n’y avait rien de palpitant à faire un devoir, réviser pour un examen et répondre à un contrôle, Cassandre donnerait probablement tout pour revenir à cette époque. Comme tout le monde, d’ailleurs. Elle ne s’était pas trouvé d’activité spéciale, à New Eden. Elle venait à peine d’arriver et, à vrai dire, elle s’était presque enfermée. Elle avait eu besoin d’être seule. C’était compréhensible.

-Je suis un peu hyperactif... Il faut toujours que je m'occupe. Ça me change les idées. Sinon... je pense trop. Mais où était-il, il y a trois jours ? C’était à ce moment qu’il aurait fallu le lui dire. Elle qui était resté trop inactive, elle avait eu le temps de penser. Ça ne l’avait pas réellement aidé. Trop de questions, pas de réponse, et aucune action à envisager. Suivant le cours de ses propres pensées, elle se dit à voix haute, en hochant la tête : « Je crois que je vais me mettre à la course. » Qui sait, c’était peut-être une solution miracle à tous les problèmes. « Je dois avouer que je ne fais pas grand-chose pour m’occuper. » Il le faudrait bien, si elle ne voulait pas perdre la boule.

-Ouais, quand même. J'ai une bonne amie qui est une garde ici, Alice et... enfin, quand elle m'a ramené ici, elle connaissait quand même quelques personnes.

C’était bien d’avoir des amis. Elle devrait peut-être essayer. Peut-être. Elle n’était pas sûr d’en être prête, pas sûr d’en être capable, ou juste de simplement le vouloir. Il y eut un moment de flottement où personne ne parla. Puis, Alec brisa le silence.

-Je m'excuse si mes questions te mettent mal à l'aise. Faut pas hésiter à me le dire si une question te gêne. Les premières questions avaient été gênantes, celle sur la famille également. Elle le rassura néanmoins : « Non, sa va. » Elle hésita, mais conclut : « … Ça fait longtemps que je n’ai pas eu une vraie conversation avec quelqu’un. » Au final, même sans réellement s’en rendre compte, parler à quelqu’un faisait du bien.

Il en vint à lui demander où elle logeait, ce à quoi elle répondit par : « Oh… dans une chambre d’hôtel un peu miteuse. » Puis, elle s’empressa de rectifier : « Je ne me plains pas, bien sûr ! » Elle ajouta avec un fin sourire : « C’est beaucoup mieux que la rue. »

Elle le pouvait. Elle pouvait faire confiance à quelqu’un. Elle pouvait se confier. Avoir confiance qu’il ne dirait rien. L’incident des yeux semblait bien loin maintenant. Il ne dirait rien. Finirait par oublier. Elle le pouvait. Il inspirait la sincérité, l’honnêteté. Elle le pourrait. Lui compter son histoire, sa confusion, ses craintes, sa famille, le virus. Se décharger. …Elle ne pouvait pas. Depuis combien de temps se connaissaient-ils ? Combien de phrases avaient-ils eu le temps d’échanger ? Pas assez pour le mêler à ça. Pas assez pour qu’il en ait vraiment quelque chose à faire. Le connaissait-elle ? Pas réellement. Elle était à l’aise, vrai. Mais être à l’aise et compter sa vie étaient deux choses différentes. Elle n’avait qu’elle-même, mais c’était bien ainsi. Elle pouvait compter sur elle. Elle était seule et démunit, et la seule chose qu’elle savait était qu’elle devait courir pour arrêter de penser, marcher pour passer à autre chose et aller de l’avant. Ce sera facile, une fois qu’elle aura arrêter de s’en faire, arrêter de s’inquiéter pour des choses que, de toute manière, elle ne contrôlait tout simplement pas.

Parlant de courir, Alec lui proposa de courir avec lui. Rien de bien méchant, même si elle doutait qu’elle ne pourrait pas suivre le rythme de ce jeune homme qui semblait, décidément, bien en forme. Elle alla refuser poliment, dit le contraire : « J’aimerais bien, ce pourrait être amusant ! » Et puis, elle biaisa la question sur le fait d’être en forme : « Certainement moins que toi… mais je devrais m’en tirer. » Et c’était beaucoup mieux que la réelle interrogation que cette question lui avait amenée. Répondre, je l’étais avant, aurait été bizarre, mais plus encore l’aurait été ; je l’ignore. Plus d’un an, peut-être presque deux, dans un labo, est-ce que ça ne nuisait pas un peu à la santé physique ? Ça ne pouvait pas l’améliorer en tout cas.

-C'est clair que c'est mieux! Si tu veux... je peux te raccompagner chez toi. À moins que tu allais quelque part quand on s'est foncé dedans?

Quitte à marcher, autant marcher dans une direction. Chez elle ? Oh, ouais, maintenant elle pouvait appeler cette chambre d’hôtel sa maison. Ça faisait étrange. Elle secoua la tête de gauche à droite pour manifester clairement qu’elle n’avait aucune envie d’être raccompagné chez elle. Être raccompagner était en soit un geste charmant, là n’était pas le problème, en fait, peut-être avait-elle simplement passé assez de temps enfermé. « À vrai dire je venais tout juste de sortir quand on s’est croisés alors… Je vais rester encore un moment dehors. À moi de te raccompagner ? »

Croisés, ou plutôt percutés. D’ailleurs, il prit la peine de s’en excuser :

-Au fait, je m'excuse pour la petite collision de tout à l'heure. J'ai cru voir un oiseau dans un buisson et bref, je n'ai pas fait attention.

Elle tourna la tête, surprise et un peu sceptique qu'en à la véracité de la chose. « Et il était vivant où mort, ton oiseau ? » Non, parce que ça changeait tout. Et puis, fallait se l’avouer, voir un animal vivant de nos jours, ce pouvait quand même être assez spécial. Mort par contre, ça devenait plus flippant.

Ils finirent par croiser quelques personnes, ci et là. Et Cassandre baissa simplement les yeux sur leur passage. Elle ne doutait pas qu’un simple et bref regard jeté à quelqu’un n’était pas réellement suffisant pour que celui-ci s’aperçoive de quelque chose d’anormal. Peut-être la dite personne repartirait-elle simplement avec une drôle d’impression, sans savoir pourquoi. Mais mieux valait ne pas chercher les problèmes. Elle rabaissa ses lunettes fumées sur ses yeux, décidant qu’elle avait assez prit de risque pour aujourd’hui.

Elle suivit donc Alec, puisqu’elle avait décidé que c’était elle qui le raccompagnait. Effectivement, ça ne faisait pas grande différence. À part qu’elle ç’aurait où il habitait, et non le contraire.

« Tu vis dans quoi, une maison ? » Après la réponse d’Alex, elle ajouta : « Avec qui ? » Vous remarquerez que la question n’était pas « y vit-tu avec quelqu’un ». Dans la mesure du possible, la fin du monde nécessitait un peu de cohabitation. Le confort devenait un peu secondaire.

Pour ce qui était de l’oiseau, Alec affirma avoir eu l’impression qu’il était bien vivant. Et bien, maintenant il ne saurait4 jamais avec certitude si ç’avait été le cas. Ce serait beau, de voir des animaux (vivants) débarquer, d’avoir l’espoir que tout pouvait se reconstruire, l’espoir d’un avenir meilleur. Cassandre n’était pas sûr de vraiment y croire.

« Avec de la chance, tu le recroiseras peut-être ». S’il était réel, et surtout s’il ne se faisait pas manger d’ici là. Si cet oiseau était intelligent, il resterait à New Eden coulé des jours paisibles. Puis ils s’arrêtèrent, apparemment rendu à destination. Cassandre prit le temps de regarder le bungalow, se tourna vers Alec un petit sourire en coin et demanda, sans attendre de réponse, amusée : « Et y’a une piscine à l’arrière ? » Il aurait pu tomber pire. Elle ne l’enviait pas.

Des hommes et des femmes. Presque des enfants. Des adolescents. Quatorze ans, n’était-ce pas un peu jeune pour vivre tout ça ? Douze quand tout avait commencé. Mais il n’y avait pas d’âge pour tous ces trucs de zombies. Aucune discrimination ; c’était là toute la beauté de la chose. Peut-être avaient-ils perdus leur parent ? Certainement. Cassandre hocha la tête à l’énumération d’Alec sur les personnes qui vivaient avec lui. « Tu es bien entouré, en tout cas ».

Non, en effet, qui se souciait vraiment de l’état de l’endroit où ils habitaient. Personne. Finit les concours du gazon le plus vert de la rue. Le mieux entretenue. Le plus beau jardin. La plus belle court. La plus belle façade. Il y avait beaucoup d’autre chose à penser, et des choses vraiment plus importantes. Non, tout ce qui importait vraiment était d’avoir un toit sur la tête, un endroit où dormir, où être en sécurité. Le reste… le reste pouvait être considéré comme un espèce de luxe, si on le voulait.

-Non, pas de piscine. De toute façon, on ne pourrait pas l'entretenir. Il faut les produits et tout...

Oui, ç’aurait été trop beau de toute manière, une piscine en état. Une piscine qui aurait fournit, l’espace d’une baignade, l’illusion d’être repartie à zéro. Il fallait de toute manière éviter de vivre dans l’illusion. Cassandre resta en place, bras croisés dans son dos alors qu’elle regardait Alec s’éloigner tranquillement en direction de sa cour.

-Bon, je crois bien que je suis arrivé. On se dit à la prochaine?

« J’y compte bien. La prochaine fois que tu vas courir, c’est quand ? » Et elle hocha la tête, lorsqu’il le lui dit, et lui fit un bref sourire après lui avoir dit qu’elle devrait arriver à se libérer à ce moment. Comme si elle avait autre chose à faire de mieux… Et c’est ainsi qu’ils se séparèrent ; elle pour dériver encore un instant avant de retourner chez elle, plus sereine d’une discussion agréable.