Echo Parker ▬ Siobhan Lawson

- « Lawson ! Je parie que tu rêves as de bons chamallows, dégoulinants comme du miel, hein ma belle ? »

Les mots de l’homme qui venait de s’assoir à ses côtés interpellèrent Siobhan, sans pour autant provoquer de réaction de sa part, alors que son regard était absorbé par les flammes du feu de camp qu’elle fixait intensément depuis plusieurs minutes maintenant. La nuit était tombée sur côté ouest des Etats-Unis depuis de longues heures déjà, pourtant les deux membres de ce petit clan de survivants auquel la jeune femme appartenait ne parvenaient pas à trouver le sommeil, alors que le reste du groupe dormait à poings fermés dans leur campement de fortune. Siobhan savait pourquoi son interlocuteur était éveillé, il effectuait son tour de garde afin de s’assurer qu’aucun rôdeur ne soit attiré trop près de cet endroit où le groupuscule avait trouvé refuge, mais lui se demandait bien pourquoi cette jolie jeune femme ne prenait pas quelques heures d’un repos bien mérité. La vie de nomade, surtout lorsqu’elle est forcée par des évènements totalement incontrôlables et irrémédiablement dangereux, n’était pas une vie facile, et à l’instar des autres survivants endormis, Phil se disait qu’il aurait préféré passer sa nuit à dormir plutôt qu’à surveiller les alentours. Il observa avec attention les traits de la jeune femme, éclairés par la faible lumière du minuscule feu de camp qu’ils avaient allumé un peu plus tôt en quête de chaleur, alors que celle-ci semblait de nouveau attirée par une lueur que lui ne percevait pas au milieu de ces flammes ardentes. Il se remémora le jour où leurs chemins s’étaient croisés, à quelques kilomètres de Winslow, ce jour où le groupe était tombé sur la jeune femme qui errait seule aux abords de la ville. Il ne lui avait pas fallu pour prouver son efficacité face aux rôdeurs puisqu’elle les avait tirés d’un mauvais pas grâce à sa connaissance des lieux. Une fière chandelle que lui devait le jeune homme, bien qu’au premier regard il avait était pour lui hors de question d’abandonner cette demoiselle à son sort. Oui, c’est vrai que Phil n’était pas indifférent au charme de la jolie blonde, contrairement à elle visiblement, mais l’homme ne désespérait pas. Peut-être qu’un jour il parviendrait à briser cette coquille que Siobhan arborait en permanence, et qu’enfin il la verrait sourire.

L’homme soupira, visiblement déçu que sa petite remarque ne fasse pour l’instant pas réagir d’avantage la jeune femme, et posa la crosse du fusil qu’il tenait sur le sol, s’appuyant sur celui-ci, trouvant lui aussi subitement un drôle d’intérêt pour les flammes face à eux. Siobhan ne bougea pas d’un pouce pendant ce qui lui parut une éternité, avant de se tourner vers lui, un léger sourire au coin des lèvres.

- « J’aime bien le miel. »

La banalité de ses paroles, quasiment les seules que cette jolie jeune femme lui avait adressées depuis leur rencontre, le désarçonnèrent quelque peu. Décidément c’était une personne surprenante, ce qui, à ses yeux, ajouta encore davantage à son charme mystérieux. Phil se gratta la tête, amusé, avant de lui répondre à son tour qu’il appréciait cela aussi. Soudain, un bruit attira son attention, et le jeune homme se leva précipitamment, conscient de son rôle de « protecteur » du camp. Il quitta la jeune blonde et se dirigea vers celui-ci, quelque peu tendu. Siobhan le suivit du regard, elle aussi sur ses gardes, alors que sa main se frayait un chemin vers le couteau qu’elle portait à sa botte. Quelques secondes plus tard et après un long silence inquiétant, le gardien revint avec son arme sur l’épaule.

- « Un castor qui s’était perdu, t’inquiète pas, il ne nous arrivera rien. Je suis là pour nous protéger ! »

Sur ses paroles, il lui adressa un franc sourire et bomba le torse, très fier de ce rôle qu’il prenait beaucoup à cœur, et annonça qu’il partait faire une petite ronde histoire de se dégourdir les jambes. Siobhan acquiesça avant de sortir l’arme sur laquelle ses doigts s’étaient posés. Elle l’observa, enfin surtout la façon dont les flammes se reflétaient sure celle-ci, et une larme perla sur sa joue.

[FLASH BACK - 7 mois plus tôt, Santo Amaro de Bahia, Brésil ]

- « Kalyel ! »

La jeune femme éclata de rire, alors que son petit ami couvrait son corps de baisers, faisant courir ses doigts habiles sur sa peau bronzée, lui prodiguant de douces caresses qui la firent frissonner. Siobhan tenta de se redresser afin de se libérer de son étreinte, mais l’homme ne la laissait pas faire, utilisant ses jambes pour la maintenir plaquée au sol.

- « Tu triche, namorado ! »

D’un mouvement puissant du bassin, la jeune femme se redressa en pivotant sur le côté, offrant ainsi un terrain dégagé pour sa main libre sur laquelle elle s’appuya afin de se dégager par un pont parfaitement maîtrisé qui la fit se retrouver derrière Kalyel. Elle lança son pied vers lui, mais le jeune brésilien se retourna en se baissant promptement, esquivant ainsi son coup, alors qui lui-même lançait son pied en vue de balayer le point faible de sa petite amie qui se tenait sur une seule jambe. Celle-ci fuit en faisant une roue vers l’arrière, avant de se mettre en posture défensive.

- « Pas du tout ! Je t’apprends de nouveaux mouvements ma belle, tu ne vas pas te plaindre quand même ? Ecoutes donc ton professor Mel. »

Suivant le fil de ses paroles, le jeune homme ôta le t-shirt imbibé de transpiration qu’il portait, et fit signe à sa partenaire de se rapprocher, alors que celui-ci entamait de nouveau un mouvement de ginga. Siobhan lui adressa un regard faussement outré, alors que ses yeux se posèrent avec envie sur les muscles parfaitement dessinés du brésilien, observant le tatouage qu’il arborait sur son épaule. Elle se rapprocha d’un pas souple, et imita sa posture, alors que le jeu reprenait de plus belle dans le vieux bâtiment désaffecté dans lequel ils avaient trouvé refuge.

Depuis plusieurs semaines déjà le chaos avait envahi les rues de la ville, comme celles de nombreuses autres cités du pays et même du Monde, à en croire les informations, et les deux amoureux avaient décidé de s’exiler dans un ancien sanctuaire à la gloire de Yemenga, la déesse des océans et protectrice des brésiliens. Comme eux, une poignée d’habitant avait trouvé refuge en ce lieu sacré, situa à l’écart de la ville et de ses dangers. Bon nombre d’entre eux n’avaient jamais vraiment eu l’occasion de rencontrer les créatures coupables de cet enfer, les rôdeurs ou marcheurs comme beaucoup les appelaient, à l’instar de Siobhan. Leur décision d’exil avait été tout d’abord motivée pour des raisons très personnelles et de nature religieuse, par le souhait de Kalyel de se recueillir auprès de la déesse, et finalement ils avaient vu débarquer des civils affolés au bout de quelques jours à peine, sans totalement comprendre les raisons de leur affolement. Ils parlaient de morts qui revenaient à la vie, de cannibales qui attaquaient tout être vivant, et d’autres choses que les deux tourtereaux eurent bien du mal à saisir. Pourtant, au bout de quelques jours, ils comprirent. Une femme avait été infectée par cette étrange maladie et la fièvre l’avait rendue démente, jusqu’à ce que celle-ci s’en prenne à son propre enfant, dévorant sa chair dans un atroce concert de bruits gutturaux et autres râles, sous le regard choqué des autres membres de la petite communauté récemment formée. Kalyel avait été le plus prompt à réagir et finalement cette macabre découverte s’était plutôt bien terminée, si l’on laissait de côté la mort des deux victimes du mystérieux mal qui frappait le Monde…

Ainsi, depuis lors le petit groupe composé d’une dizaine de personnes vivait définitivement reclus en ce lieu hautement mystique, ayant heureusement à disposition de quoi subvenir un minimum à leurs besoins, bien que leurs réserves n’aillent pas en augmentant. Le couple avait trouvé malgré lui un endroit vaguement reposant dans lequel ils survivaient tant bien que mal, mais cette situation devenait préoccupante pour Siobhan qui ne supportait pas de ne pas comprendre les raisons qui les poussaient à vivre ainsi en ermites, dans une communauté dont ils ignoraient tout, et surtout dans cet endroit hautement isolé. Afin de canaliser sa tension, Kalyel avait instauré un petit entraînement journalier de capoeira, le sport que le jeune homme lui avait fait découvrir quelques années plus tôt et dont il enseignait autrefois les rouages à d’adorables élèves. Quelques jours plus tôt l’homme avait tenté de reprendre contact avec certain d’entre eux mais en vain, et aujourd’hui lui aussi, qui était pourtant d’un naturel extrêmement calme et rationnel, sentait l’inquiétude grandir en son être. La situation dans laquelle ils se trouvaient était d’une rare précarité, ce qui en soit ne le dérangeait pas tant que cela, mais surtout elle n’offrant aucune perspective d’avenir que celle de rester cloîtrés ici en attendant qu’à l’extérieur les choses se tassent. Et cela le rongeait. Comment pouvait-il laisser ses frères et sœurs seuls au dehors aux prises avec ces êtres des ténèbres ? Siobhan avait raison, ils devaient faire quelque chose, même si cela lui coûtait de devoir avouer à sa chère et tendre que depuis le départ sa réaction avait été la plus acceptable, même si paradoxalement elle représentait un danger que lui ne se savait pas certain de pouvoir lui faire prendre. Comment lui dire tout cela ? Le jeune homme ne parvenait pas à trouver un compromis qui la laisserait hors de danger, alors depuis plusieurs jours il s’était contenté de renforcer encore davantage l’intensité de leurs petites séances d’entraînement, alors qu’il n’avait de cesse de lui témoigner son amour. Une réaction qui, évidemment, ne laissa pas Siobhan indifférente. Elle le connaissait trop bien pour savoir que quelque chose clochait, mais respectait tellement cet homme que la jeune femme n’avait, pour le moment, pas abordé la question.

Ce soir-là, après s’être dépensés comme des fous, les deux amants avaient passer une agréable nuit à parler de tout et de rien, de sujets d’une banalité affligeante mais tellement sereine dans cette ambiance hostile. La jeune femme était paisiblement endormie dans les bras de Kalyel lorsqu’elle le sentit bouger doucement, essayant de quitter le lit sans la réveiller. Celle-ci se redressa sur le coude, et le regarda étonnée.

- « Qu’est ce qui se passe ? »

Le brésilien embrassa le haut de son crâne et mit un doigt devant sa bouche, le contact avec ses douces lèvres électrisant sa peau.

- « J’ai entendu du bruit, je reviens. »

Spoiler: